Comment les médias sociaux ont modifié mes pratiques de veille
Le 25 novembre 2015, en partenariat avec le CNAM-INTD, Nathalie Douville – ma co-pilote du secteur Veille de l’ADBS – et moi-même, avons eu le grand plaisir d’organiser une rencontre pour les adhérents de l’ADBS, sur la thématique « Médias sociaux : quels atouts pour le veilleur » .
Les interventions filmées seront disponibles sous peu sur le site de l’ADBS. On trouvera en complément dans ce billet le récit de mon intervention – sur le thème « La veille sur les médias sociaux : méthodes, outils et astuces » –, ainsi que quelques perspectives.
Le point de départ
Les exposés théoriques concernant les méthodes, outils ou astuces pour veiller sur les médias sociaux ne manquent pas sur Internet (on trouve par exemple sur ce blog un support de 60 slides sur le sujet…).
Comment aller au-delà ? Que pouvais-je apporter de plus lors d’une intervention de 30 mn ?
Adepte des retours d’expérience, j’ai choisi de présenter ma propre pratique des médias sociaux, et l’évolution de celle-ci des années 90 à nos jours.
1996-2011 : de la recherche sur Internet à la « recherche éveillée »
Je fais démarrer cette histoire en 1996. Je suis alors salariée de Bases Publications (et rédactrice en chef de la lettre BASES), et nous décidons de lancer la lettre bimestrielle NETSOURCES, dédiée à la recherche sur Internet. Pour alimenter cette lettre, je mets en place une « veille sur la veille », en m’intéressant tant au contenu qu’au contenant, aux outils, aux façons de s’en servir, et aux pratiques des professionnels.
Pour rappel, les années 1990 sont celles du « Web traditionnel » ou « Web 1.0 ». Le flux d’information y est à sens unique, de quelques éditeurs vers tous les utilisateurs ; le Web est alors une sorte d’énorme magazine en ligne consulté par l’utilisateur, de façon passive.
L’époque du lancement de Netsources (peu après la naissance d’AltaVista, en décembre 1995) est également celle de l’apparition des premiers réseaux sociaux, parmi lesquels Classmates.com (en 1995) et surtout SixDegrees.com (1997).
Avec les années 2000, les réseaux sociaux se multiplient, à destination de communautés diverses et variées. Á tel point que l’acronyme YASNS fait son apparition, pour signaler « Yet Another Social Networking Service » .
Ces années 2000 sont celles du « Web 2.0 ». L’appellation est inventée par Dale Dougherty (O’Reilly Media) en 2003, lors d’une séance de brainstorming pour la préparation d’une conférence à venir, et diffusée par Tim O’Reilly en 2005 dans son article « What is Web 2.0 » . Avec le Web 2.0, tout internaute devient un éditeur en puissance et peut créer du contenu (blogs …), le partager (wikis…), animer des communautés (réseaux sociaux…), etc.
Cette appellation s’impose à partir de 2007, puis laisse la place au terme « médias sociaux » ou « social media ».
D’une façon générale, au cours de cette époque, je teste les outils pour les articles de Netsources et les formations que j’anime, mais j’en adopte relativement peu pour moi-même.
Á l’exception néanmoins des agrégateurs de flux RSS, qui font très vite partie de ma « trousse à outils » :
- Bloglines au départ (l’un des pionniers, né en 2003)
- puis Netvibes (lancé en septembre 2005, et racheté en 2012 par le groupe Dassault Systèmes)
- et Google Reader enfin (lancé en 2005, mais en phase expérimentale jusqu’en 2007), qui a longtemps constitué le socle de ma veille.
Quant à Twitter, si je teste l’outil pour écrire différents articles, je le fais via un compte pseudo. Je suis consciente de l’intérêt qu’il peut avoir pour les entreprises mais pour autant, je ne suis pas persuadée d’avoir besoin d’une veille « temps réel », pour écrire des articles dans une lettre bimestrielle ! Je l’utilise un peu cependant, tout en appréhendant d’être submergée par l’information…
Puis en décembre 2008, poussée par l’envie de travailler différemment et en plus grande autonomie, je crée mon propre cabinet de conseils : BFR Consultants. Et c’est en tant que consultante que je continue mon activité de rédactrice en chef des lettres BASES et NETSOURCES.
2011 – 2014 : de l’indépendance au questionnement
Mon autonomie d’indépendante me permet, au-delà des missions pour Bases et Netsources, de prendre de nouvelles orientations professionnelles :
- je me lance dans une aventure de longue haleine, à savoir la rédaction de l’ouvrage «Recherche éveillée sur Internet : mode d’emploi - Outils et méthodes pour explorer le Web : Web visible, Web invisible, Web social, Web temps réel» (parution en avril 2011) ;
- je m'investis au sein du Conseil d’administration de l’ADBS en 2010, et l’on me confie la responsabilité du secteur Veille en 2011.
C’est pour développer ces nouvelles activités que mon regard et mes pratiques des médias sociaux changent : la « consomm’actrice » apparaît.
Dès la parution de l’ouvrage « Recherche éveillée sur Internet », il me semble nécessaire d’offrir aux lecteurs les moyens de suivre l’actualité du sujet… Je me fais donc blogueuse et créé le Blog de recherche éveillée, en utilisant dans un premier temps la plateforme Blogger, simple et conviviale ; j’ai depuis fait appel à un professionnel pour relooker totalement le blog et passer de Blogger à WordPress, plus puissant.
Mais publier des billets sur un blog ne suffit pas. Et leur visibilité ? Et la mienne, en tant qu’indépendant ? J’investis alors plusieurs médias sociaux, parmi lesquels :
- Twitter : pour diffuser les résultats de ma veille et, ponctuellement, les articles du blog ; d'une façon générale, je signale les articles et documents que je juge intéressants dans le domaine de la recherche, de la veille et du Web social ;
- Slideshare : pour mettre en ligne les supports de mes conférences, et les mettre à disposition sur mon blog ;
- LinkedIn, au départ pour rejoindre le groupe LinkedIn ADBS et suivre les actualités des membres, puis par la suite pour développer mon réseau et diffuser ma veille. L’outil s’affranchit en effet de plus en plus de son modèle de réseau social, pour devenir un espace de partage d’informations.
En même temps que j’étoffe mon réseau via les médias sociaux, je développe les échanges avec les « personnes », au sein du secteur Veille de l’ADBS notamment. Les nombreuses matinées d’études que nous organisons s’avèrent très riches, tant sur le plan des découvertes que sur celui des rencontres, parmi lesquelles celles IRL (In Real Life) des twitteuses et twitteurs connus uniquement via leur avatar ! Et le réseau construit au départ via les médias sociaux devient peu à peu un réseau de personnes « réelles » …
Ainsi je publie, je partage, je discute, je développe mon réseau…, comme tout usager des médias sociaux. Les événements auxquels je participe (matinées d’étude, conférences…) sont une sorte de prolongation-concrétisation évidente de ces outils et de ces pratiques.
Les médias sociaux (et Twitter en particulier) deviennent indispensables à ma pratique de veille. Ce qui est logique, puisque si l’on en croit Fred Cavazza « les médias sociaux sont le web et le web est les médias sociaux, car il est devenu impossible de les différencier ».
Pourtant, jusqu’en 2013, j’effectue ma veille essentiellement depuis Google Reader. Twitter est davantage un complément, et un support pour diffuser les résultats de cette veille.
Le basculement se fait à partir de 2013, suite à la disparition de Google Reader. Comme aucun prétendant à la succession ne me satisfait totalement, j’en utilise trois parallèlement (Feedly, Feedspot et Inoreader). Et pendant une longue période de test et d’hésitation (près d’un an), il s’avère que je consulte davantage ma timeline twitter… J’y prends goût ! Et le choix se fait de lui-même.
Aujourd’hui, ma « veille sur la veille » se fait avant tout via ma timeline twitter, que j’ai tendance à consulter plusieurs fois par jour. Inoreader (l’agrégateur que j’ai finalement choisi) est surtout utilisé en complément, notamment pour alimenter … la veille que je diffuse sur Twitter !
Twitter : au cœur de ma veille sur la veille
Mon premier usage de Twitter, tout au moins le plus ancien, est la diffusion des résultats de ma veille. Mes tweets ont pour seul but de partager avec mes abonnés les articles que je juge les plus intéressants dans le domaine de la recherche d’information, de la veille et des médias sociaux. Depuis peu, j’utilise quelquefois ce média pour discuter, ou informer de ce que je fais ou vois. Par exemple avec les live-tweets lancés à l’occasion de la journée Inforum ou de cette manifestation ADBS.
Pour publier aisément et régulièrement les ressources découvertes via Twitter, Inoreader, ou lors de mes recherches sur Internet, j’utilise l’application Buffer, qui programme leur publication selon un calendrier prédéfini. Je programme via Buffer une moyenne de quatre ou cinq tweets par jour. En complément de ces articles sélectionnés pour leur contenu et « programmés », je partage ponctuellement d’autres liens en temps réel, lorsque leur actualité le justifie.
Est-il besoin de le préciser, je lis dans le détail chaque article que je choisis de partager, et rajoute systématiquement dans le tweet des informations comme le nom de la source, l’auteur, un hashtag…
L’outil Tweetie Byte, qui analyse l’activité des comptes twitter via une infographie détaillée, fournit une description relativement précise de ma façon de tweeter…
Si j’utilise Twitter pour diffuser ma veille, ce média est également pour moi un outil de veille à part entière, via la lecture de ma timeline.
Utiliser sa timeline twitter pour la veille, c’est être conscient que l’information collectée repose sur le réseau social que l’on s’est construit. Il y a donc une qualification du « messager » à faire avant la qualification du « message ».
Comme mon usage de Twitter est exclusivement professionnel, et que ma veille couvre un sujet unique (le large domaine de la veille, des médias sociaux…), je ne ressens pas le besoin d’utiliser les « listes » de Twitter, cette fonctionnalité précieuse qui permet de regrouper des abonnements dans des « listes » thématiques.
En revanche, je sélectionne drastiquement mes abonnements, que je choisis selon des critères précis. Mes pratiques s’apparentent en fait à celles que Camille Alloing (l’auteur du blog CaddE-Réputation) décrit dans sa thèse pour « la production d’un dispositif de veille par agents-facilitateurs » .
Enfin, j’utilise ponctuellement un certain nombre de services ou d’applications de la « galaxie Twitter » parmi lesquels :
- IFTTT pour certaines « recettes » (par exemple : enregistrer dans un dossier Evernote les tweets marqués comme favoris)
- Sharedcount ou Buzzsumo pour mesurer les partages de certains articles sur les réseaux sociaux
- Twitonomy pour analyser l’influence d’un twitteur
- MentionMapp pour sa cartographie des mentions d’un twitteur, etc.
2014 – 2015 : du questionnement à l’accompagnement
En septembre 2014, je décide de mettre fin à ma collaboration avec Bases Publications. NETSOURCES vient d’avoir 18 ans, il est temps de laisser cette lettre voler de ses propres ailes !
Il me faut répondre, pour moi-même, à deux questions : Quels services proposer aux entreprises ? Comment valoriser mon savoir faire ? Questions que se posent d’ailleurs en interne les services documentation.
Hasard ou synchronicité, des rencontres me donnent l’occasion :
- de participer à un groupe de co-développement autour de l'immatériel et d'expérimenter la richesse des échanges collectifs ;
- de découvrir une méthode de développement personnel, et de mieux comprendre mes motivations profondes.
Ces rencontres me font prendre conscience des mutations profondes que vivent les veilleurs, de mon envie de multiplier les échanges directs avec les professionnels, mais aussi de la nécessité de développer de nouvelles manières de faire et d’être en expérimentant, ce que je fais dorénavant, de façon volontaire et intentionnelle :
- en modifiant peu à peu la ligne éditoriale de mon blog, par l'ajout d'interviews de veilleurs racontant leurs pratiques de veille ;
- en testant de nouvelles formes d'animation collaboratifs, par exemple à l'occasion de la Journée Inforum de l'ABD-BVD – avec la mise en place du dispositif de veille éphémère – ou de la journée professionnelle du réseau Must – avec l'animation d'ateliers de co-construction sur la veille collaborative ;
- en expérimentant la conférence-récit sur "mes" pratiques de veille, lors de la matinée organisée par le secteur Veille ... et dans cet article.
En fait, l’évolution de mes pratiques de veille reflète celle des médias sociaux.
L’apparition et la multiplication d’outils, gratuits ou bon marché, utiles dans les différentes étapes de la veille (collecte, stockage et traitement, diffusion, partage et collaboration), m’ont incité à modifier à la fois mes pratiques, mais aussi le dispositif de veille que j’avais mis en place (nous y reviendrons dans un projet article).
Cet usage des médias sociaux m’a aussi permis d’élargir la diffusion de ma veille, et par là même, de mieux communiquer avec les membres de mon réseau, de mieux les connaître, et de créer des liens autres que virtuels…
Cette évolution représente la partie émergée de l’iceberg. Les questions restent ouvertes :
- pour le métier de veilleur en tant que tel : quid de l'avenir du métier de veilleur, quand la veille devient une compétence nécessaire et propre à de nombreuses professions ?
- pour sa posture, son rôle : le veilleur est-il un expert ? un accompagnant ? Quel est son rôle face à l'autonomisation de plus en plus grande des clients/usagers ?
- pour l’écosystème : quel impact la multiplication des outils de veille, de curation, d'analyse et de collaboration a-t-il sur les comportements de veille, mais aussi sur les dispositifs de veille mis en place dans l'entreprise? Quel est l'impact sur le rôle des différents acteurs et leurs modes de collaboration ?
2016 : quelle veille pour demain ?
C’est pour éclairer ces différents questionnements que j’ai décidé d’adopter un nouveau fil rouge dans mes activités.
Dans mon blog, ce fil rouge se retrouve à travers trois nouvelles « rubriques », autour desquelles s’articuleront le plus souvent les nouveaux articles de Recherche-eveillee :
RENCONTRER des veilleurs aux expériences variées rassemblera des interviews de professionnels de l’information, appartenant à des structures diverses ; nous pourrons écouter et entendre des expériences vécues de recherche d’information, de veille, etc. permettant d’imaginer d’autres mises en pratiques.
CAPTER les dynamiques qui se jouent proposera des articles d’analyse pour comprendre et ainsi apprendre sur les changements qui s’opèrent actuellement dans le domaine de la recherche et de la veille.
AGIR dans le sens de nos projets présentera essentiellement des expérimentations, des manières d’agir nouvelles.
Ces rencontres, échanges et expérimentations devraient nourrir notre dynamique, pour nous aider à aller dans le sens de nos projets.
Qu’en pensez-vous ?
Merci Béatrice pour cette intéressante synthèse ! Elle met des mots sur nos pratiques « intuitives » et leur évolution… Hâte de lire les news qui alimenteront ces nouvelles rubriques ;D
Bonjour,
serait-il possible d’avoir les autres présentations de cet après-midi sur les réseaux sociaux? Par avance, merci.
Les captations vidéos des différentes interventions de la matinée (avec visualisation des supports) sont disponibles sur le site de l’ADBS, mais sont réservées aux adhérents de l’association.
Il est possible d’y accéder à cette adresse, en étant connecté avec son numéro d’adhérent : http://goo.gl/zQnczc
Bonne lecture…
Merci pour le document qui est d’ailleurs très intéressant.