Veille : outils gratuits vs plateformes payantes. Confrontation des usages à l’ADBS
Le secteur « Veille et Recherche sur Internet » de l’ADBS a organisé le 19 juin dernier, en collaboration avec les secteurs « Coopération et Développement » et « Education Enseignement Pédagogie« , une manifestation sur le thème « Quels outils de veille pour quelles pratiques ? Cinq retours d’expérience » qui a remporté un grand succès. Au cours de cette matinée, cinq professionnels de l’information appartenant à des domaines divers ont expliqué leurs démarches dans la mise en place de leur veille et dans le choix des outils, et ont présenté les atouts et limites des solutions qu’ils avaient choisies (AMI EI, Digimind, KB Crawl, mais aussi Google Reader, Diigo..).
Cet article est une synthèse du compte-rendu détaillé que nous avons réalisé pour la lettre professionnelle NETSOURCES (n°98, mai/juin 2012) ; exceptionnellement, nous proposons à tous ceux qui le souhaitent de recevoir ce numéro sous forme électronique, sur simple demande par mail.
Du lecteur de flux RSS à la plateforme de veille AMI EI 6.0
Mathilde Fourquet, Arkema
Le témoignage de Mathilde Fourquet portait sur son expérience de chargée de veille stratégique et concurrentielle, poste qu’elle a occupé pendant plus de dix ans auprès du service InfoDoc d’Atofina d’abord puis, après la fermeture du service en 2007, auprès de la Direction Stratégie d’Arkema.
Elle avait notamment pour mission d’envoyer quotidiennement des livrables de veille aux directions stratégie et communication financière, et de réaliser une synthèse hebdomadaire pour la direction générale et le comité exécutif.
La mise en place de cette veille s’est faite tout d’abord avec l’agrégateur de flux RSS gratuit Newzie, puis avec RSS Owl, qui disposait de fonctionnalités supplémentaires dans le paramétrage des flux et permettait de mettre en place des filtres relativement puissants sur des mots, des balises meta, etc.
Mais les besoins en matière de veille ont peu à peu évolué, et les outils gratuits ont montré leurs limites, la principale étant que les filtres utilisés avec des agrégateurs de flux RSS ne se font que sur la source RSS (le plus souvent titre, URL, chapô) et non sur le texte intégral de la page ; des articles pertinents paraissant dans une source surveillée pouvaient ainsi ne pas être identifiés par l’outil.
Une étude a donc été lancée en 2011 pour choisir une solution plus puissante et, après une analyse des offres des différents acteurs, c’est la plateforme AMI Enterprise Intelligence 6.0 (de AMI Software) qui a été sélectionnée.
Dans un premier temps, c’est un fonctionnement en mode hébergé qui a été choisi, avec une seule licence administrateur veilleur et plusieurs licences lecteurs. Après un an environ d’utilisation, le bilan dressé est le suivant :
- le paramétrage de la plateforme est une étape exigeante qui a nécessité le transfert manuel de la centaine de flux RSS, la définition du plan de classement, des attributs…, la création des portails personnalisés pour les différents clients, l’alimentation de la base des connaissances, etc.
- la veille perd un peu en matière de «temps réel», de par les contraintes du crawling et le manque de tableau de bord très réactif ;
- la recherche à géométrie variable est très puissante : sur les contenus capitalisés, tagués et classés, mais aussi sur l’intégralité des sources connectées, sur les bouquets de sources d’actualité fournis dans l’outil, etc. ;
- l’analyse est facilitée par les statistiques, la représentation graphique, les tags et la base de connaissances ;
- la «prise en main» de l’outil est relativement lourde (complexité des paramétrages, étape de structuration de la base…), et le monitoring des sources reste complexe ;
- l’outil peut être utilisé en mode collaboratif, mais il est bien sûr nécessaire d’organiser les équipes et de définir des rôles. Il permet alors une bonne intégration de la veille et des analyses dans les processus de décision.
AMI EI 6.0 : exemple d’analyse statistique |
La mise en place d’un dispositif de veille décentralisé avec Digimind
Cédric Joseph-Julien, Agence Française de Développement (AFD)
Le témoignage suivant était celui de Cédric Joseph-Julien, responsable depuis 2009 du pôle documentation de l’AFD, un établissement public qui agit depuis 70 ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et de l’Outre-mer. Rassemblant 1600 agents (dont 1000 au siège à Paris et 600 dans le réseau), l’AFD a besoin de mutualiser et de capitaliser ses connaissances, d’autant que les chargés de mission, très autonomes en matière de recherche d’information, sont soumis à mobilité et changent de poste tous les trois ou quatre ans.
Cédric Joseph-Julien s’est vu confier en 2011 la mission de mettre en place un dispositif de veille. Après un benchmark des solutions disponibles et à la suite d’un appel d’offres, c’est la plateforme Digimind qui a été retenue et paramétrée, afin de devenir «AFD Watch».
Sa mise en place a pour objectif de doter l’AFD d’un outil permettant à la fois de réduire les risques (pour le suivi de la réglementation bancaire et juridique par exemple), de prospecter (détection des opportunités, etc.), d’aider à la prise de décision (suivi des actualités et analyses économiques sur les pays d’intervention), tout en capitalisant et en mutualisant les connaissances, de façon à faire profiter les autres agents de l’AFD d’une information validée.
Le dispositif est le suivant :
- l’administration de l’outil de veille est confiée à la cellule de veille de l’AFD ;
- dans le processus de mise en place du dispositif de veille, un sourcing a été réalisé avec les entités pilotes sélectionnées pour le projet. Il a permis de constituer un catalogue de 540 sources, structurées par type (presse, académique…), langue, thématique et zone géographique, de façon à faciliter la création de «packs de veille» (pour surveiller uniquement, par exemple, les sources institutionnelles, académiques et bancaires concernant le Brésil). 160 « agents de surveillance » ont été constitués ;
- la cellule de veille administre la plateforme, intègre les sources et livre les tableaux de bord aux veilleurs ;
- les veilleurs (une quinzaine, appartenant aux cinq entités pilotes) sont chargés de l’analyse des alertes ; ils centralisent les informations dans les dossiers d’un plan de classement, qui a été élaboré avec deux entrées : thématique et géographique ;
- les analystes reçoivent les informations validées par les veilleurs, les traitent et génèrent des livrables (newsletters, rapports…) pour les clients internes et les décideurs. Le veilleur et l’analyste peuvent être la même personne.
La phase pilote se termine à la fin de l’été 2012.
Avec l’assistance de la maîtrise d’ouvrage, Cédric Joseph-Julien a calculé le ROI (retour sur investissement) d’AFD Watch, en fonction des besoins des entités pilotes, et du temps consacré auparavant à la recherche d’information. L’ambition est qu’AFD Watch permette aux agents de l’AFD de dégager près d’un tiers de leur temps pour des tâches à plus haute valeur ajoutée, mais également d’internaliser des produits de veille réalisés par des prestataires extérieurs.
AFD Watch : exemple du portail des connaissances |
Utilisation de KB Crawl par la cellule de veille du CIEP
Héloïse Nétange, CIEP
Créé en 1945, le CIEP (Centre international d’études pédagogiques) est un établissement public national depuis 1987, et fonctionne autour de deux pôles d’activité : l’éducation et les langues.
Pour mieux surveiller les opportunités de marché, une cellule de veille stratégique a été créée en 2007, au sein du centre de ressources. Les quatre veilleurs de la cellule interrogent (directement ou via un courtier) des bases de données payantes, et utilisent KB Crawl pour surveiller de façon «semi automatisée» près de 300 sources nationales (sites gouvernementaux, journaux officiels…) et internationales (banques multi-latérales de développement, institutions communautaires, organismes des Nations Unies, etc.). Les informations identifiées sont ensuite validées et enregistrées dans une base de données Cindoc, puis envoyées aux destinataires par CindocWeb.
Plusieurs raisons ont justifié le choix de KB Crawl :
- la nécessité de disposer d’une veille quotidienne sur un grand nombre de sites, pas toujours équipés de flux RSS ;
- la simplicité du paramétrage et la réception des alertes par email,
- la possibilité qu’offre KB Crawl d’indexer le Web invisible : il est possible d’interroger de façon automatisée des bases de données, accessibles avec mot de passe ;
- la fiabilité de l’outil et son faible coût, en licence monoposte.
La surveillance est quotidienne, et génère environ 80 alertes chaque jour. Celles-ci sont envoyées par mail aux veilleurs, qui effectuent une sélection dans les alertes, enregistrent les appels d’offres retenus dans Cindoc, et utilisent Cindoc pour envoyer les documents aux chargés de programme.
Le bilan de l’utilisation de KB Crawl est globalement très positif, le paramétrage de la veille pouvant être affiné constamment et la V4 de KB Crawl s’avérant très conviviale.
Néanmoins, si la formule choisie (logiciel monoposte) a pour avantage d’avoir un faible coût, elle présente le risque d’être liée à un seul poste (en cas de problèmes informatique…) ; pour pallier ce risque, une sauvegarde est faite manuellement sur un serveur.
KB Crawl a d’autre part décidé de privilégier désormais les solutions Saas (utilisation du logiciel par abonnement et accès distant) et a annoncé l’arrêt de la maintenance de la version monoposte pour 2014. La nouvelle version sera plus complète … mais plus coûteuse. La question du choix de l’outil de veille se reposera alors.
KB Crawl : paramétrage des motifs d’alerte |
Quand Google Reader complète KB Crawl
Lynne Sergeant et Asuncion Valderrama, IIPE – Unesco
L’Institut international de planification de l’éducation (IIPE) a été créé en 1963 au sein de l’Unesco, pour améliorer la planification et la gestion des systèmes éducatifs en renforçant les capacités des pays. Au sein de l’IIPE, le centre de documentation (cinq personnes) gère la collection physique des ouvrages, fait de la veille pour le personnel et alimente les bases de données et blogs de l’IIPE.
Lynne Sergeant et Asuncion Valderrama ont expliqué pourquoi et comment, en complément de KB Crawl, le centre de documentation de l’IIPE avait décidé d’utiliser l’agrégateur de flux RSS Google Reader, notamment pour ses capacités de «taguage» et de diffusion.
Google Reader est utilisé ici uniquement pour les sites web qui contiennent un flux RSS, ce qui représente environ 200 abonnements. Parmi ceux-ci, on trouve essentiellement les tables des matières de périodiques, les sites d’organismes, des sites de presse et des portails comme Eldis.org, Zunia.org, etc.
Chaque documentaliste trie entre 50 et 200 alertes par jour, et attribue des tags aux articles retenus. Des mots-clés ont été définis pour les pays, les thèmes et les projets en cours, et les articles sont tagués avec ces mots-clés selon les besoins des pays, des chercheurs ou de la stratégie globale.
Cette solution a été choisie pour son côté «pratique», car elle permet par exemple de dépouiller et de classer aisément un grand nombre d’informations issues de la presse, sans utiliser de nomenclature ou de plan de classement.
L’outil a également été choisi pour les options de partage qu’il propose, et notamment la possibilité d’envoyer directement des documents par mail au(x) destinataire(s) de son choix, de créer un flux RSS à partir d’un tag, et de publier directement les articles tagués sur un site, que ce soit le blog du centre de documentation, les plateformes Netvibes, etc
L’usage de cet agrégateur par l’équipe évite ainsi la duplication entre collègues et offre la possibilité d’utiliser une même information de différentes façons.
Il permet d’avoir une veille plus approfondie, et complète les informations fournies par KB Crawl, qui a été mis en place pour surveiller plus spécifiquement les sites des ministères et Etats membres (qui n’utilisent pas les flux RSS).
Le principal problème – c’est l’inconvénient des outils gratuits – réside dans la dépendance des évolutions de Google Reader.
La nouvelle version de Google Reader, lancée en novembre 2011, a ainsi vu un certain nombre de fonctionnalités de partage disparaître, pour favoriser la diffusion des informations vers Google+.
S’il est toujours possible de créer un flux RSS pour un dossier regroupant plusieurs flux (ou de partager les résultats sur une page), en passant par l’option «Créer un thème», Google Reader ne propose plus de créer directement un flux RSS pour un tag donné ; les flux RSS précédemment créés fonctionnent en revanche toujours.
Des astuces existent cependant pour pallier cette disparition, mais nécessitent l’utilisation d’applications spécifiques.
Google Reader : le partage de flux, via la création de thèmes |
Les pratiques de veille 2.0 au sein de la délégation générale à l’Outre-mer : l’exemple Diigo
Christelle Chetkowski, DéGéOM
La dernière intervention de la matinée était celle de Christelle Chetkowski, responsable du Pôle documentation de la DéGéOM (Délégation générale à l’Outre-mer), qui a présenté les différents outils gratuits que son équipe (trois personnes) utilisait, pour effectuer quotidiennement une veille collaborative à destination des 150 agents et du cabinet ministériel.
Christelle Chetkowski avait déjà eu l’occasion de présenter ses pratiques lors d’un précédent atelier organisé par le secteur veille de l’ADBS. Nous ne reviendrons donc pas sur le détail de son intervention, mais nous évoquerons simplement le dispositif qu’elle a mis en place pour la veille, dispositif qui a d’ailleurs légèrement évolué entre ses deux témoignages :
- un dashboard public Netvibes a été créé et rassemble les flux RSS des sources d’actualité du domaine, classées dans une quinzaine d’onglets. Si la veille se faisait au départ depuis ce dashboard, celui-ci est depuis devenu uniquement un espace «vitrine» ;
- les documentalistes effectuent aujourd’hui leur veille essentiellementà partir de Google Reader, qui rassemble environ 140 abonnements ;
- un plugin Firefox – Update Scanner – est utilisé en complément, pour effectuer une veille sur les sources non prises en compte par Google Reader ;
- 30 à 50 articles sont sélectionnés chaque jour et sont sauvegardés dans un groupe privé diigo ; trois groupes ont été créés et concernent la veille quotidienne, la veille bibliographique et les revues de sommaires. Les articles retenus sont «tagués» avec le nom du destinataire et sont envoyés quotidiennement par email, grâce à la fonction «Generate Report» de Diigo. Des fils RSS sont par ailleurs générés à partir des groupes Diigo et alimentent le portail Netvibes.
Diigo : enregistrement d’un document, avant sa rediffusion |
Ces différentes interventions illustrent la diversité des pratiques de veille dans les entreprises.
Des solutions gratuites existent et peuvent se révéler efficaces ; mais alors, la veille se fait quasi-exclusivement sur les sources gratuites du Web visible et nécessite le plus souvent l’emploi de différents outils.
Le veilleur est d’autre part soumis au «bon vouloir» de l’éditeur du logiciel ou du service utilisé, qui est susceptible de changer brusquement de politique et de décider :
- de rendre payant ce qui était jusqu’alors gratuit ; c’est ce qu’a fait par exemple Diigo pour certaines de ses fonctionnalités, comme la surbrillance, la fonction cache…, aujourd’hui proposées sur une version payante ;
- de supprimer certaines fonctionnalités, comme la génération d’un flux RSS à partir des tags, dans Google Reader ;
- voire de disparaître, ou de mettre fin à son service. Google a ainsi annoncé la fermeture du service iGoogle – concurrent direct de Netvibes – en novembre 2012. Le moteur laisse ici le temps à ses clients de trouver une solution de remplacement, mais ce n’est pas toujours le cas. Et une disparition brutale peut s’avérer dramatique pour une entreprise, si elle n’a pas sauvegardé régulièrement les flux suivis…
Parallèlement aux outils gratuits, de nombreuses plateformes de veille existent. Leurs fonctionnalités, comme leur gamme de prix, sont ici très variables, certains outils étant spécialisés sur la surveillance des pages et sites web (ajouts, modifications…), d’autres apportant une aide au veilleur tout au long du processus de veille (sourcing, collecte, analyse, diffusion…).
En permettant de confronter des usages souvent différents d’un même outil, mettant en avant leurs atouts et leurs limites, les matinées d’échanges et de retours d’expérience, organisées notamment par l’ADBS et ses différents secteurs (manifestations gratuites, et réservées aux adhérents) trouvent ici toute leur richesse.
Comptes-rendus des précédentes manifestations du Secteur Veille de l’ADBS :
- La mise en scène de l’information au service de la veille et du KM (juin 2012) ;
- Quand le secteur Veille de l’ADBS partage des astuces et méthodes (mars 2012) ;
- Compte-rendu de la matinée « Réseau social d’entreprise » (novembre 2011) ;
- Riche rencontre pour les secteurs Veille et Education de l’ADBS (septembre 2011) ;
- Mettre en place une veille avec les outils du Web 2.0 (juin 2011)
- Des recherches boostées à Lyon (avril 2011)
bonjour, je découvre ce blog et cet article, il y a quelques mois nous avions publié un petit article sur deux outils libres qui permettent de créer une base de veille sur un thème : http://blog.passeurs-de-savoirs.fr/2012/05/creez-votre-propre-outil-de-veille-et-de-curation.html
et quels sont les outils que vous utilisez pour la surveillance en ligne?
Bonjour. Avez-vous des expériences de migration d’une plateforme de veille à une autre ? Merci
Interréssant, cet outil permet aussi les alertes et les newsletters sur mesure ?