Sébastien André : « Partir de l’expérience utilisateur pour mettre en place une veille »
J’ai rencontré Sébastien André lors des Journées Ascodocpsy 2016, au cours desquelles nous intervenions tous les deux autour du thème de la veille. Nos échanges sur nos systèmes de veille respectifs m’ont donné envie de l’interviewer pour le Blog de Recherche éveillée, afin qu’il nous présente plus en détail le dispositif original qu’il a mis en place.
Sébastien André : responsable documentation au Centre hospitalier d’Erstein
Recherche éveillée : Bonjour Sébastien. Merci d’avoir accepté cet entretien.
Pourriez-vous tout d’abord vous présenter et expliquer à nos lecteurs ce qui vous a conduit à mettre en place un système de veille au sein de votre centre hospitalier ?
Sébastien André : Je suis documentaliste de formation et, après différentes expériences, j’ai eu l’opportunité en 2005 de rejoindre le Centre hospitalier d’Erstein (67), spécialisé en psychiatrie.
J’ai à la fois en charge :
- la bibliothèque médicale, qui fournit la documentation à l'ensemble du personnel de l'établissement, et est spécialisée en santé mentale,
- le centre de documentation de l'Institut de formation aux soins infirmiers du Pays d'Erstein, qui propose aux formateurs et étudiants une documentation actualisée dans le domaine des sciences infirmières.
J’effectue en fait un mi-temps dans chacune des deux entités, où je collabore avec une collègue assistante documentaliste.
Mes fonctions au départ étaient assez « classiques » : je gérais le fonds documentaire (spécialisé en santé mentale) et la base de données documentaire, et réalisais un certain nombre de produits tels que la revue des sommaires automatisés, une revue de presse, les nouveautés de la bibliothèque, etc.
En 2014, j’ai conduit un certain nombre d’entretiens avec des responsables de services administratifs, des cadres de santé et des chefs de pôles, pour savoir comment ils se documentaient et comment ils s’informaient.
J’ai pris conscience qu’ils n’avaient que peu de temps pour s’informer et ne consultaient qu’un nombre limité de sources et de ressources. Beaucoup se contentaient du fil d’information d’APM Media, une agence de presse médicale filiale du groupe APM International.
Leur besoin d’information était en fait implicite.
Recherche éveillée : Comment avez-vous procédé pour répondre à ces attentes non exprimées ?
Sébastien André : j’ai commencé par faire évoluer les produits documentaires que j’avais lancés. Puis, à partir de 2015, j’ai réfléchi à la mise en place d’un système de veille, avec comme triple objectif de :
- permettre un accès à une information pertinente, fiable et sélective,
- toucher un public plus large, notamment les responsables de services, les cadres de santé..., qui se déplacent peu ou pas à la bibliothèque,
- gagner du temps dans la réalisation de ma veille, n'ayant qu'un temps limité pour l'effectuer (1 heure par jour maximum).
Pour permettre aux utilisateurs de s’informer rapidement, j’ai choisi de lancer trois newsletters, concernant les thématiques :
- droit de la santé : droit médical et droit de l'hôpital
- management hospitalier : gestion du personnel, psychologie du travail...
- organisation hospitalière : finances, projets de santé, organisation de l'hospitalisation...
Comme j’utilisais déjà l’outil MailChimp pour gérer mes livrables, j’ai voulu tirer parti de la fonctionnalité qu’il propose d’envoyer des newsletters automatiquement, depuis un flux RSS (ndlr : pour en savoir plus sur cette fonctionnalité, on pourra se référer à l’excellent support réalisé par Serge Courrier).
Je pensais au départ choisir la plateforme de curation Scoop.it comme socle de ma veille, en utilisant le flux RSS que l’on pouvait générer pour un « topic » . Mais les fonctionnalités de la version gratuite ont été revues à la baisse. On ne peut créer gratuitement qu’un seul topic, et on ne peut plus récupérer le flux RSS de celui-ci. Or, je voulais créer trois lettres, et le système de veille devait de préférence être réalisé avec des outils gratuits.
Je me suis donc mis en quête d’un autre système de curation.
Sébastien André : Je collecte les informations avec Inoreader, les stocke dans Dashub et les diffuse avec MailChimp
Recherche éveillée : Quel système de veille avez-vous mis en place ? Quels outils avez-vous choisi pour les phases de collecte, de stockage, de diffusion ?
Sébastien André : Je collecte les informations via l’agrégateur de flux RSS Inoreader. Il me permet de découvrir les nouveaux articles parus sur les sites que j’ai sélectionnés.
Je sélectionne les articles qui répondent à mes critères et leur attribue un mot-clé, correspondant à la thématique de la newsletter dans laquelle ils doivent être publiés.
J’ai envisagé dans un premier temps d’utiliser également Inoreader pour la diffusion, en le couplant à MailChimp ; cela m’aurait permis en effet de publier les newsletters automatiquement, via le flux RSS sortant généré par chaque mot-clé.
Mais Inoreader ne permet pas de mettre en forme le flux RSS. Or, les informations contenues dans les flux varient selon les sources : selon les cas, on peut disposer du titre seulement, ou du titre et des premières lignes, ou du texte intégral… Je tenais à ce que les newsletters proposent des informations « standardisées », avec pour chaque article le titre, les premières lignes et une image.
C’est alors que j’ai découvert la plateforme Dashub.info, via le site Les outils de la veille.
Lancée récemment par un éditeur belge, cette plateforme de curation propose, à la manière d’un Scoop.it et de ses topics, de créer gratuitement plusieurs « bibliothèques » ou « dossiers », chacun pouvant rassembler des pages web, des vidéos, des fichiers, etc. Dashub permet de faire des dossiers privés, accessibles à un public inscrit ou des dossiers libres d’accès. Cette veille n’ayant pas vocation à être confidentielle, j’ai opté pour l’option public, plus facile à gérer.
J’ai donc pris le risque de me lancer avec cet outil, qui était très récent. J’ai apprécié la réactivité de ses éditeurs, qui m’ont proposé de tester la version payante, ont répondu à mes questions rapidement et pris en compte mes remarques sur leur produit.
Aujourd’hui, j’utilise Inoreader pour la collecte ; je sélectionne les articles, les ouvre sur le site d’origine, et les publie d’un clic dans Dashub, grâce à une extension Firefox. J’ai la possibilité de les retravailler pour offrir un format homogène. Pour le moment, le service Dashub n’est pas (encore ?) intégré à Inoreader, ce qui me fait perdre un peu de temps (je ne peux pas intégrer la page depuis Inoreader, je dois me rendre sur le site d’origine). J’ai fait une demande à l’agrégateur ; peut-être y répondront-ils…
Puis, chaque bibliothèque créée disposant de son flux RSS, j’utilise MailChimp pour envoyer automatiquement une newsletter, via ce flux.
Recherche éveillée : Quelle a été votre démarche pour mettre en place cette veille ? Quels sont les retours des utilisateurs ?
Sébastien André : Ma démarche s’est faite en plusieurs temps.
J’ai tout d’abord parlé de mon projet de veille à ma hiérarchie, qui était plutôt partante.
Dans le même temps, j’ai envoyé un questionnaire aux utilisateurs potentiels (cadres, responsables de pôles, médecins, administratifs…), pour leur parler du projet, vérifier la cohérence des thématiques, et définir la périodicité qui leur convenait.
C’est la version hebdomadaire qui a été choisie pour chacune des lettres. Elles arrivent dans leur boîte le mardi matin (il est possible sur MailChimp de programmer le jour et l’heure de l’envoi).
Pour ma part, je publie dans Dashub tous les jours, dès que j’ai un moment. Je ne me soucie pas de l’alimentation, qui est gérée par MailChimp. Les lettres sont envoyées automatiquement dès qu’il y a au moins une information.
Comme le produit est très nouveau, je n’ai pas encore de retours des utilisateurs. Je dispose juste des statistiques de MailChimp, qui montrent que la plupart des destinataires ouvrent le mail (85% d’ouverture). Quant au taux de clic unique, il varie de 20 à 40 % selon les périodes et les sujets..
Ce qui me manque – mais c’est une difficulté fréquemment rencontrée par les veilleurs –, c’est que je ne sais pas ce que les utilisateurs font des informations reçues.
J’ai un public qui est en attente, mais qui n’a pas de besoin explicite. Il n’exprime pas forcément de souhait précis. Je suis donc assez libre de sélectionner l’information qui me semble pertinente, mais je peux me tromper. Toutefois, au fur et à mesure des lettres, la sélection s’affine et semble plus correspondre au besoin.
Je compte d’ici peu questionner les destinataires des lettres sur la pertinence des sources et des articles sélectionnés, leur souhait d’intégrer d’autres sources, etc. Pour ce faire, je leur enverrai un questionnaire au premier trimestre 2017.
Sébastien André : communication, expérience utilisateur et évaluation sont des leviers d’action que le veilleur doit utiliser
Recherche éveillée : Quel regard portez-vous sur le système que vous avez mis en place ? Y a-t-il des points que vous souhaitez améliorer ?
Pour le moment, je suis relativement satisfait du système de veille qui a été mis en place il y a quelques mois, même si la mise en forme des articles me prend beaucoup de temps. Si Inoreader intègre Dashub, le système sera plus efficace.
Aujourd’hui, je consacre environ trois heures par semaine à la réalisation de ma veille sur les trois thématiques, chacune comportant une sélection volontairement réduite de cinq à quinze articles.
Je compte étendre cette veille à des thématiques plus proches de la santé mentale (psychiatrie adulte, pédopsychiatrie, gérontologie…), mais avec une périodicité moins fréquente.
Je profiterai de l’évaluation des lettres pour élargir les sources d’information avec les destinataires. Pour ces premières lettres en effet, comme il n’y avait pas de demande et qu’il s’agissait d’un nouveau produit, je suis parti de zéro. J’ai sélectionné moi-même les sources. Peut-être avais-je aussi envie de montrer que la bibliothèque pouvait faire autre chose que les tâches « classiques » …
Maintenant que les destinataires ont vu ce que pouvait offrir une newsletter, il me sera plus simple d’appréhender leurs besoins avec eux, d’affiner les sources, etc.
Recherche éveillée : Si vous deviez donner des conseils pour des recherches ou des veilles les plus justes possibles, quels seraient-ils ?
Sébastien André : Mon premier conseil est assez généraliste : il est important de partir des besoins utilisateur.
J’ai mis en place mon système de veille en m’appuyant sur de petits questionnaires, qui m’ont permis de vérifier que je ne me trompais pas. Mais si c’était à refaire, je partirai de l’expérience utilisateur. En allant le voir, en le questionnant, en lui proposant différentes alternatives…
Mon deuxième conseil est qu’il faut se donner le temps nécessaire pour bien mettre en place son projet. Il ne faut pas précipiter les choses. Il faut réfléchir à ce que l’on souhaite mettre en place et, si possible, tester le système en amont avec certains utilisateurs. Il faut savoir prendre du temps pour en gagner après.
Mon troisième conseil enfin est qu’il est indispensable d’obtenir un retour des utilisateurs au bout de quelques temps.
Comme on peut le voir, mes trois conseils sont orientés utilisateurs. Il faut partir de l’utilisateur en amont, concevoir le produit pour répondre à ses besoins, et évaluer les résultats avec lui après.
Enfin, le fer de lance de tout système est la communication, qu’on a tendance à oublier… J’ai communiqué pour le moment par mail, mais il faudrait que j’informe l’ensemble des services sur l’ensemble des produits que je propose. Et que je fasse régulièrement des relances, car il y a parfois une méconnaissance des services offerts par la bibliothèque.
Bref, communication, expérience utilisateur et évaluation sont trois leviers d’action que le veilleur doit utiliser !
Recherche éveillée : Merci Sébastien pour ce partage…
Retour d’expérience très intéressant !
L’outil Dashub semble avoir beaucoup évolué en quelques mois, et est notamment beaucoup plus attrayant en termes d’apparence et de présentation des fonctionnalités offertes. A (re-)tester !
Dans ma structure nous utilisons un workflow logiciel quasi identique pour la veille, avec au départ un lecteur de flux RSS, puis Diigo pour la capitalisation et enfin MailChimp pour la diffusion. Cependant, comme évoqué dans cette interview, il reste nécessaire de retraiter les éléments touvés lors de leur archivage afin d’obtenir une présentation correcte, avec les informations désirées.
Merci Sébastien pour ce partage et grand merci à Béatrice pour l’animation de ce blog
Je me suis un peu retrouvée dans la démarche et les outils.
Je découvre Dashub.info que je vais aller expérimenter dès que je trouverai le temps. Pour ma part, entre Inoreader et Mailchimp j’utilise Feedburner qui me permet de mettre en forme les flux mais il me manque d’afficher clairement la source des articles.
Merci à tous les deux et très bonne année 2017
Très cordialement,
Merci pour ce retour d’expérience. Nous sommes confrontés à la même problématique au sein de ma structure en matière de diffusion de notre veille. A savoir l’utilisation de plusieurs outils, gratuits ou presque, permettant de traiter la chaîne complète de la veille, de la collecte jusqu’à la diffusion des contenus.
J’utilise également Inoreader (à mon avis l’outil le plus complet dans son domaine actuellement, et version pro pas chère du tout !), un véritable outil de veille, très précieux, qui permet non seulement la mise sous surveillance des sources, mais qui offre aussi des outils de filtrage avancés et des moyens de diffusion intéressants.
Pour mettre en forme le flux RSS sortant d’Inoreader, j’utilise pour ma part l’outil Feed Informer qui, dans sa version gratuite, permet de paramétrer assez finement les flux RSS et de les intégrer à un site web sous différentes formes.
Ainsi la boucle est bouclée !